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"Seul la longueur et la dureté de l’aventure permettent de se retrouver avec soi-même, de réaliser un voyage intérieur au plus profond de son corps et de découvrir des ressources morales et physiques jusqu'alors insoupçonnées. Le corps humain est une machine tantôt surprenante tantôt merveilleuse avec une capacité d’adaptation hors du commun"

UTMB 2014

Samedi 30 août 2014, 16h42, je franchis la ligne d’arrivée de l’Ultra Trail du Mont-Blanc (UTMB) dans les rues bondées de Chamonix en 11 ème position, 1er Suisse, après 168 kilomètres, 9700 mètres de dénivelé positif en 23 heures et 11minutes d’effort… … de joie, de souffrance, de dépassement de soi et surtout d’intenses émotions après une aventure en semi autonomie débutée la veille à 17h30 autour du plus haut sommet européen

Marche ou crève… en route pour le paradis…

Préambule

Ce récit n’est malheureusement pas en format papier sinon il serait légèrement sâlé et couvert de traces de boue, de sang et surtout de larmes de joie beaucoup de larmes de joie ! Samedi 30 août 2014, 16h42, je franchis la ligne d’arrivée de l’Ultra Trail du Mont-Blanc (UTMB) dans les rues bondées de Chamonix en 11ème position, 1er Suisse, après 168 kilomètres, 9700 mètres de dénivelé positif en 23heures et 11minutes d’effort, de joie, de souffrance, de dépassement de soi et surtout d’intenses émotions après une aventure en semi autonomie débutée la veille à 17h30 autour du plus haut sommet européen. Une aventure partagée avec mon équipe qui laissera des traces indélébiles dans ma mémoire. Voici le récit…

True story

Chamonix, 29 août 2014, 10h30, 1ère étape : le retrait du dossard et le contrôle du matériel de sécurité, une formalité mais l’occasion de se mettre pour de bon dans l’ambiance ! La route vers le paradis, mon paradis pouvait sembler semer d’embuches, après 10 semaines d’arrêt pour une fracture au 3ème métatarse du pied gauche et seulement 6 semaines de reprise de la course à pied dans les jambes avec un manque évident de dénivelé dans les cuissots ! La longueur, la dureté et la densité d’une épreuve telle que l’UTMB (169km et 9800m D+) m’invitaient également à la plus grande prudence. Mais le jeu en valait bien la chandelle et après tout…que pouvais-je risquer avec une équipe d’anges gardiens, dévoués corps et âme, pour me suivre, menée de main de maître par Maya, l’âme de ma performance suivie avec brio du trio magique de mousquetaires Chris, Antoine et Patrick. Sans oublier bien évidemment les sentinelles dispersées à plusieurs endroits du parcours et celles vivant la course sur Internet comme s’il y étaient… Une stratégie alimentaire claire et simple afin d’éviter autant que possible les problèmes intestinaux et les crampes, une concentration absolue afin de ne pas oublier de s’hydrater et une patience à toute épreuve, tels étaient mes commandements ! Rester tranquille, ne pas s’affoler, refuser de s’avouer vaincu, résister et prendre un maximum de plaisir dans ces moments d’euphorie où les jambes autorguent à l’esprit un répit bien mérité et une sensation de légèreté permettant au corps de s’évader et de déambuler au gré des alternances du relief avec en toile de fond le majestueux Mont-Blanc. Quelques heures avant le départ, le matériel est minutieusement préparé et, la stratégie alimentaire ainsi que les moments clés de la course sont décryptés avec mon équipe de lieutenants. Mon statut de coureur « élite » (300 coureurs auront également ce statut) selon la toute nouvelle fédération internationale ITRA (International Trail Running Association) me permet de me présenter 15 minutes avant sur la ligne de départ. Cet avantage est non négligeable quand on pense que certains attendent depuis 30 ou 45 minutes si ce n’est plus pour les plus motivés ! Je me faufile parmi la masse de coureurs élite, salue quelques collègues d’aventure, tous les teams sont représentés et plutôt bien représentés…les positions privilégiés seront très chères à aller chercher !François d’Haene, les espagnols Iker Karrera, Tofol Castanyer et Luis Alberto Hernando ou encore les américains Anton Krupicka, Mike Foote, Tim Olson et Jason Schlarb font figure de gros favoris avec un grand nombre d’outsiders…et moi dans tout ça ?!Compte tenu de ma saison, finir serait un rêve, un top 30 très bon, un top 20 extraordinaire…

Le départ…l’apéritif

Le départ…une ambiance surréaliste pour des trailers plutôt habitués à la solitude et à passer inaperçus ! Plus de 15’000 personnes se sont amassés dans les rues de Chamonix ! La pluie s’invite à la fête comme pour nous indiquer qu’elle verserait également quelques larmes pour saluer notre départ, elle restera presque 7h saluant notre passage jusqu’aux Chapieux. Des frissons et une énorme émotion s’emparait de la ligne de départ, le niveau d’intensité atteignait son summum lors des premières notes de la « conquête du nouveau monde » de Vangelis, une musique qui prend aux tripes et qui symbolise le début de cette extraordinaire aventure des temps modernes…Je me trouve en deuxième ligne avec mon dossard 96 et je tente de m’abriter sous l’arche de départ, mais le dilemme est là, dès le début, pour la grande majorité des trailers…veste imperméable oui/non? A 2 minutes du départ, je décide d’enfiler ma veste de pluie tout comme la majorité des favoris à côté de moi sauf certains américains qui restent cool en débardeur malgré les trombes d’eau !

BOOM !

Le départ est donné Véritable explosion émotionnelle…j’en profite un maximum et je savoure la sortie de Chamonix comme si je n’allais jamais revenir, avec une foule immense venue nous acclamer sous la pluie. Le rythme est soutenu devant (17-18km/h), je décide de laisser partir de suite et de garder une allure raisonnable de 15km/h ! Je me rends compte après 3km que la veste est plutôt encombrante, je décide donc de m’arrêter quelques secondes pour la ranger et fixer également un peu mieux mes bâtons qui ont failli se faire la malle…c’est la première fois que je les utilise et que je cours avec. J’ai opté pour des bâtons téléscopiques 3 jours avant le départ ce qui n’est vraiment pas recommandé mais il fallait juste que je trouve le bon moyen de les fixer sans les envoyer dans la nature à chaque descente ! Ce premier contretemps ne m’inquiète pas trop pour autant que je trouve une solution car dans une telle course, tous les détails comptent ! Je perds une bonne quarantaine de places et je me retrouve dans le sillage de l’ami Faivre et de Nuria Picas avec Anton Krupicka et Rory Bosio en point de mire…Y a pire comme carotte ! Après 10km de mise en route pour sortir de Chamonix et traverser les Houches, la première montée du parcours pointe le bout de son nez, le Delevret (col de Voza), je décide de sortir les bâtons assez vite car l’objectif est de garder un maximum de cartouches pour la grande bataille. Ce premier col me permet de trouver mes repères, d’évacuer la tension du départ ainsi que de faire le vide autour de moi et de me mettre dans ma bulle. Je rentre réellement dans ma course. Un 100 miles (terme utilisé pour les courses variant de 160 à 170km) est, avant tout, une bataille avec soi-même et il faut pouvoir s’isoler, partir en introspection complète ou semi-complète et faire sa propre course avec son équipe. La notion de plaisir est fondamentale dans une telle aventure, les moments d’euphorie où le corps se lâche permettent à l’esprit de s’évader et de contempler des paysages incroyables ou de profiter d’ambiances souvent bucoliques des petits villages traversés. Une expérience telle que celle-ci est également une opportunité pour chaque coureur de tutoyer ses propres limites, d’aller chercher des ressources souvent insoupçonnées, d’acquérir une connaissance de soi-même différente, plus profonde, tantôt en situation de crise tantôt dans l’euphorie. Toutes les clés intérieures acquises lors d’un périple de ce type sont autant d’outils à disposition qui demeuraient profondément endormis en chacun d’entre nous auparavant et qui seront, un jour ou l’autre sortis de la boîte à outil afin d’affronter certains défis quotidiens de la vie professionnelle et/ou personnelle. Cette première montée plutôt maîtrisée me conduit dans la première descente. Je me rends compte assez vite que les bâtons ne tiendraient pas dans leur disposition actuelle avec les secousses !Je prends donc le temps de m’arrêter quelques minutes pour optimiser le montage…et bingo, je trouve la bonne formule ! Ceci paraît anodin mais ça n’aurait pas été possible de faire 10 descentes dans ces conditions, maintenant je n’ai « plus qu’à courir ». Cette descente nous mène donc sur St Gervais (21ème km) et le deuxième ravito du parcours, je pointe en 51ème position après 2h de course, nous arrivons dans une ambiance du tonnerre, malgré la pluie, au rythme de petits groupes folkloriques ! Je ne m’attarde pas trop, juste le temps de lacer mes chaussures pour éviter les ampoules et de boire un peu d’eau avant de repartir. Au passage je vois Maya et les boys et je leur indique qu’aux Contamines je vais me changer avant d’aborder la nuit ! La partie entre St Gervais et les Contamines est très dangereuse en terme de gestion de course, l’énergie et la motivation sont regonflés à bloc après le ravitaillement et il est facile de s’emballer et de prendre un rythme trop élevé, la gestion est de mise. Cette portion est très vallonnée et m’avait fait le plus grand mal l’année dernière puisque c’est là que j’ai commencé à avoir mes problèmes d’estomac! Je reste donc très prudent et concentré sur ma stratégie alimentaire, ne pas faire d’écart, surtout pas maintenant ! Je trouve un bon rythme et je prends énormément de plaisir à pouvoir gambader là où je marchais et m’arrêtais toutes les 10 minutes l’année dernière !La dernière partie se fait déjà dans la nuit mais je décide de ne sortir la frontale qu’au ravitaillement pour ne pas perdre de temps, je profite ainsi pour faire quelques montées complètement dans le noir, sensation très relaxante, la vue se détend et d’autres sens se mettent en éveil…Je croise Pierrick et Maelane qui me reconnaissent malgré ma veste de pluie et la tombée de la nuit, je commence également à entendre le son du speaker annonçant les premiers coureurs, ils sont environ 12 min devant ! Je me réjouis comme un gamin du premier moment de partage avec Maya et de revoir mes potes sur le bord de la route, tout cela me redonne un bon coup de fouet.

Le vrai départ…l’entrée dans la nuit

Le ravitaillement des Contamines (30ème km), le 3ème et le premier avec assistance marque la fin de l’apéritif au menu de l’UTMB, je passe 35ème après 3h11min de course, je prends 6 bonnes minutes pour me changer, même si je resterais au sec 5min uniquement, c’est bon pour le moral, je recharge mes gels et boissons, mange un petit peu de taboulé et une banane et serre très fort ma moitié avant de me lancer dans une nuit qui s’annonce pluvieuse et longue, portion de 45km tout seul sans assistance ! C’est parti ! Au menu, quelques amuse-bouche et l’entrée !COME ON, je repars gonflé à bloc de mon stand de F1 avec des encouragements pleins de volonté de Maya et totalement euphorique de ma team (Chris, Patrick et Tonio). Le passage aux Gorges de Notre Dame, 35ème km constitue pour les trailers, le vrai départ de l’UTMB, la vrai course, là où les choses sérieuses commencent et la portion où l’UTMB ne se gagne pas mais peut se perdre, la seule victoire dont je parle et celle d’être à l’arrivée avec le gilet de FINISHER !La victoire finale au scratch n’est finalement, pour celui qui l’emporte, qu’une marque de respect des autres aventuriers-trailers pour le chef de meute, le guide, celui qui a su mener le troupeau à destination avec bien évidemment quelques pertes inhérentes à la dureté de l’épreuve. La compétition est avant tout contre/avec soi-même, les autres coureurs sont des points de repères, des soutiens moraux, des raisons de s’approcher encore plus de ses propres limites…ils permettent d’aller chercher encore plus profond dans ce puit « presque » sans fond que constitue notre for intérieur. Le premier signe est l’allumage de la frontale, c’est parti dans une ambiance digne du Tour de France avec des jeux de lumières roses, des bandes musicales et un énorme feu de bois saluant notre passage au silence complet. Ce silence va être dominé par les sommets imposants qui scrutent le moindre de nos mouvements, la nuit noire, ses étoiles et ses serpentins de lampes frontales, tout est enfin en place pour la longue méditation physico-psychique… Quelles images et des souvenirs plein la tête !!! Dans la montée en direction du refuge de Balme, je reviens sur Nathalie Mauclair, à ce moment de la course, première féminine, et nous continuons un bout de chemin ensemble, elle semble déjà à la limite mais pour avoir déjà partagé quelques kilomètres avec elle, je sais qu’elle a une capacité à se mettre dans le rouge qui est bien au-dessus de la moyenne !Elle fait sa course en prenant plus de risques que certains, si ça passe ça peut faire très mal ! Je prends le temps de me ravitailler à la Balme car le col de la Croix du Bonhomme est long et usant, je repars sur un rythme régulier mais soutenu aidé de mes bâtons, je rattrape progressivement une dizaine de collègues, une partie m’avait doublé lors de mon arrêt à la Balme et l’autre était déjà à l’avant ! A ce moment de la course, chacun trouve sa position et le classement n’est que superfuge car l’écrémage ne fait que commencer. Ceux qui ont présumé de leurs forces se font avaler par la meute des poursuivants, parmi eux, certains trouveront un second souffle ou un supplément d’âme pour continuer alors que d’autres se perdront dans des pensées négatives qui, de fil en aiguille, transforment un défi ambitieux en une aberration sans nom. Ce fatalisme de l’esprit est le principal ennemi en ultra trail, il représente le petit diable murmurant à l’oreille et entraînent souvent le dépôt du dossard. Jusqu’au col du Bonhomme tout va bien, les jambes répondent bien et la pluie a cessé de nous persécuter et semble s’effacer pour que nous profitions pleinement de l’aventure, par contre en franchissant le col à 2500 mètres d’altitude, le brouillard devient très épais, au point de ne plus voir à dix mètres. La partie jusqu’à la croix du bonhomme sera bien plus difficile, les pierres sont glissantes, la visibilité est très mauvaise et j’éprouve du mal à relancer sur les parties plus roulantes. Je m’accroche à un groupe de coureurs juste devant moi ce qui m’aide au niveau visibilité et recherche du chemin ! A ce moment de la course, je suis 31ème, après 5h16min de course. Nous basculons à 4 à la croix du bonhomme pour une descente qui mène au ravito des Chapieux, cette descente et technique sur la première partie est roulante sur la deuxième !je décide de me faire plaisir dans la descente et tester mes jambes tout en relachement sans trop en mettre, je passe sept ou huit coureurs dont Benoit Girondel (Asics) et le duo portugais (Silva-Sa). Cette descente me donne le sourire car l’année dernière sur cette partie je ne pouvais pas courir tellement les secousses me torturaient… Au ravitaillement des Chapieux 44km, je passe un contrôle du matériel obligatoire et je file manger un peu de nouilles et de bouillon dilués, un gel et deux morceaux de bananes avant de repartir dans un groupe de cinq avec Nuria Picas, passée en tête côté féminin, qui est revenue de l’arrière lorsque je me ravitaillais (que ca va vite aux ravitos, de vrais Formule 1). La partie des Chapieux jusqu’au pied du col de la Seigne a été un calvaire l’année passée donc je repars prudemment après un bon ravitaillement. Très vite, je sens que je suis bien et le fait d’être un des seuls à pouvoir courir sur cette portion (portion roulante entrecoupée, par moments, de côtes pentues et usantes sur le bitume). Le temps de marcher sur une des petites côtes que le duo Carlos Sa/Nuno Silva me reprend et se lance à l’offensive, je les suis et nous revenons assez vite sur Manu Gault (Asics) qui ne se sent pas bien. Nous faisons course commune à 3 en nous relayant jusqu’au pied du col de la Seigne. A ce moment là, en gardant un rythme soutenu, je les lâche au train sans réellement le vouloir, je vois une lanterne au loin devant moi, un bon point de mire. Après quinze minutes, je le reprends, il s’agit de Bertand Collomb Paton (8ème en 2013), il me dit que mon rythme est très bon. Bertrand me suit à la trace et nous faisons tout le col ensemble, en discutant et en partageant nos expériences mais comme diraient certains, nous n’étions pas là pour acheter du terrain. Nous passons devant Javier Dominguez (3ème en 2013) et Hara (vainqueur de l’UTMF 2013). En haut du col de la Seigne à 2540 mètres, nous basculons ensemble et nous faisons cause commune dans la descente jusqu’au lac Combal. Ce ravitaillement est décidément d’un autre temps, de nuit, il semble perdu dans la pampa et les bénévoles qui l’animent ont énormément de mérite! Juste le temps de profiter de leur accueil, de manger une demi banane, de lasser mes chaussures et je repars ! Entre temps Bertrand était reparti depuis 30 secondes, je l’ai en point de mire mais je ne veux pas me mettre dans le rouge pour reboucher le trou coûte que coûte car je risque de le payer, les moindres efforts sont calculés à ce moment de la course ! Au début de l’ascension de l’Arrête du Mont Favre, je connais un petit souci avec mes bâtons qui restent coincés, ceci me fait perdre encore 30 secondes sur Bertrand, décidément ces bâtons auront été bien utiles mais comme je les achetés d’urgence deux jours avant la course, le manque de pratique m’a coûté du temps dans les moments de transition par manque d’habitude. Il va falloir que je travaille sur ce point à l’avenir ! La montée se passe bien même si les jambes ne tournent plus aussi bien que dans le col de la Seigne. Je vois d’ailleurs des frontales revenir sur moi gentiment mais sûrement alors que je reviens légèrement mètre par mètre sur Bertrand. On se lance dans la descente avec 100 mètres d’écart mais je connais de nouveau quelques soucis pour accrocher mes bâtons, cette partie de relances jusqu’au col Checrouit va me faire mal aux pattes mais je reviens sur Bertrand juste avant ce col ! Je décide de ne pas me ravitailler car même s’il ne me reste plus grand chose à boire et à manger, je vois Courmayeur en contre-bas et je me dis que ça va le faire, ce choix m’a peut-être coûté une mini défaillance par la suite…Quoiqu’il en est, je me lance tête baissée sur ce qui est probablement la descente la plus technique de l’UTMB, je dépasse deux concurrents dans cette descente que je fais à un très bon rythme sans forcer non plus car elle est suffisamment raide pour mettre les cuissots à rude épreuve, l’arrivée à Courmayeur, au 77km après 9h20min de course en 15ème position, en bonne santé, est un premier grand soulagement !Les jambes sont bien marquées par les efforts mais l’énergie est encore là et la motivation intacte ! 6h30min sans voir ma formidable équipe d’assistance ! Maya est encore une fois au top, elle me charge en munitions pendant que je mange un peu de pain, de taboulé et de viande séchée, je change également de chaussettes. Ce ravitaillement est très intéressant et très stratégique dans la course, les coaches, les photographes et les journalistes sont tous présents mais également des commissaires de course qui scrutent mes échanges avec Maya, je me rebooste un max, un petit bisou et hop c’est parti ! Je ressors en même temps que Nuria Picas, première féminine, qui a fait un ravito express de 2min contre 5-6 min pour moi. Elle va peut-être le payer un peu plus tard ! Nous sortons sous les VIVA du nombreux public présent à 2h15 du matin, ma dream team m’accompagne sur quelques mètres avant de me laisser m’évader pour traverser le centre de Courmayeur et me faufiler progressivement dans la forêt pour aborder la montée vers Bertone ! Nous abordons cette côte à quatre, Nuria Picas, Matthias Dippacher et Javier Dominguez m’accompagne, je mène l’allure du petit groupe et je vois Flo qui nous attend dans la pente! Cette montée va être escaladée à un rythme soutenu mais je sens une légère défaillance dans les dernières 10 min qui permettent à mes collègues de vadrouille de revenir sur moi puis de me passer au ravito à Bertone. Je ressens le besoin de me refaire la cerise à ce moment là donc je prends mon temps pour remettre les bâtons, prendre un gel et bien m’hydrater. Je dis bye bye à Flo et lui annonce mon coup de moins bien. Ce dernier va effectivement se confirmer dans la partie entre Bertone et Bonati, une portion qui m’avait fait du bien l’année précédente mais qui, cette année, va être un calvaire. Je n’arrive plus à relancer et mes cuisses sont en bêton armé ! Je me fais rejoindre à Bonati par le duo portugais Sa-Silva et par Rory Bosio…tiens la voilà la « Kilian » féminine !et mince moi qui espérait lui résister… A ce moment de la course je n’en mène pas large et je me dis que la course sera très très longue ! Je laisse filer les trois compagnons, la fatigue prend le dessus et je dois me faire violence et me battre mentalement pour ne pas jeter l’éponge. Le moteur manque d’essence, la lassitude se fait sentir et je manque de lucidité, par endroits mes pertes d’équilibre me causent de bonne frayeur. Bon sang, que se passe-t-il ? Est-ce que je ressens les premiers effets de la fatigue, du manque de sommeil, il est entre 4h et 6h du matin ou est-ce quelque chose de plus sérieux ? Je me parle beaucoup, je lutte, je sens que je suis vraiment rentré de plein fouet dans les vraies difficultés de l’Ultra, je visualise des images positives, je tente peu à peu de retrouver des sensations favorables, des signes encourageants. Heureusement, je ne m’affole pas au ravitaillement de Bonati, je viens de perdre quelques places mais compte tenu des circonstances, l’objectif est tout autre. Je sais ou du moins je veux croire que la roue va encore tourner. Je m’en persuade, je sais ce que j’ai vécu les mois précédents pour pouvoir être au départ et je ne vais pas lâcher si facilement. La lutte intérieure est déclarée, qui gagnera de l’ange ou du démon ? Je balaie assez rapidement les pensées néfastes du démon car je connais mes ressources, celles que j’ai trouvé lors de Verbier St Bernard en 2012, celles que j’ai retrouvé l’année dernière sur cette même course. Seules certaines situations extrêmes comme la dureté et la longueur d’une épreuve permettent de découvrir ces ressources, cette force intérieure qui ne sont pas à la portée des personnes qui restent dans leur zone de confort. Je me lance dans une partie qui me convient mieux, mon rythme est sensiblement plus élevé ce qui me permet de reprendre Silva qui passe un mauvais moment. Soudain, je reçois une première alerte de ma frontale qui me signale que la batterie est bientôt épuisée, je prends le parti d’attendre les 5km qui me sépare du ravitaillement d’Arnuva pour changer la batterie ! Ce choix pimente quelque peu cette partie de la course car je reçois, trois kilomètre plus loin, un deuxième avertissement. L’intensité lumineuse diminue clairement dans cette partie descendante, si ma frontale me lâche, je serais dans l’embarras pour m’éclairer lors du changement de batterie…bref le risque est pris et je fonce vers le ravito en me disant que j’ai Carlos Sa une minute devant. J’ai retrouvé de l’énergie et je prends du plaisir dans cette descente très sympa, je fais donc le forcing pour le rattraper au plus vite. J’arrive à sa hauteur et comme les sensations sont bonnes, je continue sur ma lancée jusqu’au ravitaillement. Je profite pour faire le fameux changement…ouf !je me ravitaille, un peu de viande séchée, des nouilles, du bouillon dilué, un gel et c’est reparti ! Entretemps le duo portugais, décidément bien plus rapide que moi au ravito s’est envolé avec 1min30 sec d’avance sur moi (je me suis arrêté 3min30 ou 4min max).

Le plat de résistance…la résurrection

L’ascension du col ferret se fait en deux parties, je cravache dans la première pour recoller sur le duo portugais ce que je fais. Ensuite, dans la deuxième partie, je retrouve ds sensations proches de celles ressenties au col de la Seigne et je reviens sur certains coureurs qui lâchent quelque peu…notamment Mick Foote et Javier Dominguez qui m’avait accompagné dans la montée du refuge Bertone. J’ai retrouvé une deuxième jeunesse et au sommet je prends le temps de remettre mes bâtons ce qui permet à Carlos Sa et Javier Dominguez de revenir, je pointe en 15ème position ! Nous nous lançons dans la longue descente vers la Fouly. Je relâche quelque peu ma foulée, détends les bras et m’alimente tout en les gardant en point de mire. Les souvenirs de l’année passée me hantent quelque peu, c’est à cet endroit que les premières contractures sont apparues. Dans ces moments, on essaie de se faire une raison et de ne pas sombrer dans la paranoïa surtout que malgré quelques petites douleurs par ci par là, tout va pour le mieux. Je gère donc prudemment la première partie de la descente en me contentant de suivre mes deux compagnons de vadrouille, Nuno Silva suit 300 mètres derrière. Après trois kilomètres de descente Carlos Sa prend les choses en main et dépasse Javier pour imprimer un rythme plus soutenu dans la descente, je suis sa trace… et, 500 mètres plus loin, je prends l’initiative ! Je préfère courir à mon rythme sans me soucier des autres plutôt que de suivre un tempo imposé par qqun d’autre et qui ne me convient pas forcément, en plus je sais que nous allons aborder une partie légèrement plus technique et suivre les trajectoires des personnes de devant est bien plus périlleux que de faire confiance à ses propres pas et intuitions. Il s’agit en fait d’une succession de petites descentes et de petits coups de cul (montée sec dans le jargon) dans un premier temps, il faut donc remettre du gaz régulièrement et ça tombe bien car mes jambes acceptent le défi et me permettent de me faire vraiment plaisir. Au terme de deux ou trois kilomètres bien maîtrisés, je constate que j’ai clairement lâché mes anciens compagnons de vadrouille et je reviens sur Clément Petitjean (Asics). Les sensations sont au beau fixe et je continue mon petit bonhomme de chemin. Clément n’essaie pas de s’accrocher, nous sommes dans une partie de la course où chacun garde son rythme, il serait inutile et surtout dangereux de tenter de s’accrocher coûte que coûte à qqun, l’arrivée est encore trop loin. Je reste cependant prudent car l’année dernière, les sensations étaient également optimales à ce niveau de la course et cette descente avait marqué le début de ce qui sera la cause mon abandon, déchirure au niveau du quadriceps droit. La dernière partie de la descente est une portion très raide et rendue glissante par la boue, je me laisse aller avec un plaisir non dissimulé, la fouly pointe le bout de son nez ce qui marque le début de la journée du samedi qui s’annonce très coriace !Sur les dernières relances assez raides et sur le plat précédant le ravito, j’aperçois Rory Bosio, 1ère féminine, 200m devant ! Quelle joie de revoir toute la bande qui m’encourage sur les dernières centaines de mètres avant le ravito et quel bonheur également d’apercevoir le pantalon orange fluo de ma moitié qui gesticule avec un grand sourire ! Ces moments sont uniques et tellement importants, ils redonnent du baume au cœur…Quelle énergie déployée par toute l’équipe, le dévouement est total et je ne peux qu’être extrêmement reconnaissant. Ils vivent la course aussi intensément voire plus que moi et ils se sont totalement appropriés le projet autour de Maya. Nous unissons nos forces et j’ai l’impression de véritablement porter les espoirs de tout un groupe de personnes. Je suis l’enveloppe corporelle, le corps physique qui permet de réaliser ce périple mais en mon for intérieur, je ne suis plus seul, nous sommes 20 esprits, 20 forces, réunis avec la même envie et la même détermination. Je sens et je m’imagine également le soutien de ceux qui auraient aimé me soutenir physiquement mais qui ont dû rester à la maison et suivre ce périple sur Internet. Ces moments marquent au fer rouge une personne et, dans notre société matérialiste, ces moments de partage, de communion et d’émotion n’ont plus de prix. On peut les rechercher toute une vie, je les ressens en 24 heures, je me sens complètement privilégié ! A l’’arrivée à la Fouly au 110ème km en 14h16min, je me ravitaille (sans assistance) avec Rory Bosio plutôt rapidement, on me pose un GPS, ne sachant pas ma position exacte cela m’indique que je suis plutôt bien placé, top20, top15 ou top10 ? Je ne sais pas vraiment car je ne veux pas d’indications de mon équipe sur ce point là. Le chemin est encore tellement long et l’aventure n’est de long loin pas finie ! Regardons vers l’avant et restons dans notre bulle! Oui, sauf que soudain Rory qui était partie 100m devant moi du ravito se décale sur le bord du chemin et d’un geste aussi brusque que surprenant, descends énergiquement sa jupette…le besoin était très pressant, je passe à ce moment là sans sourciller ou presque en lui disant…enjoy see you later ;-) La dégustation du plat principal de notre menu mont-blanais continue avec une partie redoutée d’une vingtaine de kilomètres entre la Fouly et Champex-Lac très éprouvante, vallonnée avec énormément de relances. Sur la portion en partie à découvert sur terrain rocailleux, en partie dans la forêt, je serre les dents. Puis en arrivant à Praz de Fort, sur une portion de deux à trois kilomètres goudronnés, mes jambes ne répondent plus vraiment, j’ai le sentiment d’être à l’arrêt et d’être très lourd, je deviens un poids que mes jambes ont du mal à transporter. Les sensations sont à nouveau très moyennes et je sors quelque peu de ma bulle pour regarder vers l’arrière sur ces portions découvertes où l’on peut voir à l’horizon. Rory ne semble par revenir et je l’aperçois au pied de la bosse lorsque je suis déjà bien engagé dans celle-ci. J’aborde la dernière partie raide avant d’arriver à Champex focalisé sur mon effort et en économie d’énergie maximum, tous mes mouvements semblent calculés pour m’amener du point A au point B sans gestes superflus. Ma montée se fait de manière constante tout en pensant à Champex-lac où je pourrais avoir de l’assistance 6h après Courmayeur, enfin ! Les derniers contreforts avant d’arriver sur Champex sont très émouvants, je revois mes parents que j’avais laissés à Chamonix et ma dream team survoltée et qui a encore clairement augmenté les décibels sachant qu’il s’agit d’un point clé de l’aventure ! Je pointe donc au 132ème km en 15h58min de course. Je me sens bien mais avec une grosse envie de salé et de manger à nouveau quelque chose de solide.

Le dessert…

La recharge de boissons et de gels est arrivée à point nommé car j’étais à sec depuis un petit moment. Je courais vraiment sur le fil du rasoir car si j’avais eu un gros coup de moins bien, je n’aurais pas pu me ravitailler! Le duo portugais arrive trois à quatre minutes derrière moi, ils ne lâchent rien non plus, magnifique ! Maya me tend une tortilla préparée par ma maman pour toute l’équipe, je me jette dessus comme un meurt de faim, heureusement je ne pas de problèmes digestifs et tout passe ! Que c’est bon de retrouver le goût su salé et des saveurs de la maison. Maya m’encourage et me rappelle l’objectif « tu es très bien, mais attention le but c’est l’arrivée ! » dit-elle. Je la rassure en lui disant que je suis conscient de ce qui me reste à faire, place au dessert, environ 36km pour 2500m D+. La cause est loin d’être entendue surtout que le corps commence à trouver le temps long et que seul ma tête, au mental, va pouvoir guider un corps qui demande une accalmie, un repos…ce repos qu’il ne faut surtout pas lui donner à ce moment de la course! D’ailleurs ce corps me redonne le sourire, par moments, en me rappelant qu’il peut encore me surprendre et donner du répit à mon esprit ! Autant le dire tout de suite, Bovine ne sera pas l’exemple le plus marquant, sur la longue portion roulante avant d’arriver au pied de la montée, je peine à trouver un rythme agréable mais j’avance contrairement à l’année passée et cela me fait du bien. La montée, que dire de la montée si ce n’est qu’elle se prénomme Bovine et qu’elle peut être qualifiée d’HORRIBLE surtout à ce moment de la course, des pentes terrifiantes qui me font littéralement vaciller, je n’ai pas l’énergie suffisante pour me propulser avec mes bâtons, je sens que mon rythme est en chute libre, à chaque virage j’espère apercevoir le sommet mais cette montée est également très longue. Des randonneurs m’encouragent au passage et ils font de même avec mes poursuivants juste derrière ce qui me permet de mesurer l’écart qui me sépare d’eux et il diminue à chaque virage! Je m’arrache pour rejoindre une partie plus roulante mais j’ai du mal à relancer, les jambes se font lourdes, très lourdes ! Je retrouve un peu de pêche dans la toute dernière bosse avant de basculer et je vois que mes poursuivants ne vont pas me rejoindre avant le sommet. La descente sur la Forclaz et Trient est assez technique et je veux prendre du plaisir, je me dis aussi que je pourrais reprendre un peu le large sur mes compagnons. Oui mais… le début de la descente est plus délicat que prévu, mon genou droit m’envoie des secousses aussi violentes qu’inattendues qui bloquent mon articulation. Je m’arrête, j’étire la jambe et tente de débloquer le tout ! Je me rends compte assez vite que les arrêts-reprises à répétition ne sont pas bénéfiques et je décide de me laisser aller malgré la douleur. L’inquiétude monte et je croise les doigts pour que ça ne prenne pas des proportions irrémédiables… Au col de la Forclaz, je croise à nouveau ma dream team qui m’encourage sans retenue, ils m’annoncent que devant, les autres ne sont pas loin et ne sont surtout pas mieux. Je les remercie mais dans ma tête, je sais que malgré de relativement bonnes sensations et un état de fatigue encore contrôlable, mon genou constituera une énigme supplémentaire qui je l’espère ne sera pas insoluble. Vais-je pouvoir enchaîner encore deux montées et deux descentes reliées par un faux plat montant de 5km entre les deux ? le défi est lancé et ma quête d’arrivée est toujours à portée de foulées mais les incertitudes sont nombreuses également. Je me lance sur le dernier raidillon avant d’arriver à Trient en 11ème position au 142ème km après 18h24min de course. Petit contrôle de matériel au passage, ce qui permet à mon équipe, surprise par mon arrivée de s’installer. Je retrouve Maya, toujours au top, qui me donne un gel, un peu de pain et de tortilla, ca me fait le plus grand bien à nouveau. Je fais le plein de boissons et de gels sous les « Qué Viva España » du speaker. Maya leur signale que je suis également suisse ce qui me permet de savourer la dernière minute de mon ravito sous l’hymne national suisse ! Un grand moment ! Pendant ce temps, Anton Krupicka est assis, la tête entre les genoux car il purgeait une pénalité de 15min pour manquement au règlement (il n’a pas pu présenter sa deuxième frontale obligatoire). Il repartira 3h30 plus tard pour finir quand même son UTMB, chapeau ! Carlos Sa a également fait son apparition entre temps et sort du ravito 200m derrière moi, Rory Bosio et Nuno Silva suivent derrière mais je ne les croise pas à ce moment là. La montée vers Catogne est difficile, très difficile pour moi, entre coups de moins bien et chaleur pesante. J’ai oublié de me dévêtir quelque peu à Trient et cette montée exposée au soleil de midi ressemble à un calvaire. Je me fais rattraper par Carlos Sa après 15min de montée et je me dis qu’il va me déposer…et ben non, au contraire, il reste derrière moi et on se met à parler, super moment de partage après 145km d’aventure, nous avions déjà échangé quelques mots pendant la nuit lorsqu’il courrait avec Nuno Silva mais ce moment va me faire vraiment du bien. Il semble très facile et me raconte un peu ses aventures à la Badwater aux Etats-Unis (course dans la vallée de la mort qu’il a remportée en 2013 et où il finit 3ème cette année, 5 semaines avant l’UTMB s’il vous plaît). Carlos est une des figures mythiques de notre sport et ce moment d’échange sur nos visions de notre passion fut très enrichissant. Sacré bonhomme qui sillonne les courses et les défis plus fous les uns que les autres autour du globe. Arrivés au sommet, Carlos me dit qu’il se sent bien et me demande s’il sont loin devant, je lui réponds que nous sommes 10ème ex-aequo et que devant c’est prenable s’il peut accélérer un peu. Je sais que je peux lui reprendre du temps dans les descentes ou au pire le suivre mais mon genou me fait tellement souffrir dans les zones de transition que je ne peux plus relancer sur la parie vallonnée au sommet du Catogne. Je dois me résoudre à le laisser partir la mort dans l’âme…Dès lors, mon inquiétude se focalise sur le fait de pouvoir recourir, ce n’est pas le moment de tout perdre et encore moins d’abandonner !Allez serre les dents Diego ! Je peine énormément à me lancer dans la descente et je suis très étonné de ne voir personne revenir de l’arrière, où sont Rory et Nuno voire d’autres, ils ne doivent pas être beaucoup mieux que moi, je tente de rester dans ma bulle mais que faire quand je ne peux presque plus courir ! Je négocie finalement tant bien que mal cette descente casse patte et j’arrive au ravitaillement de Vallorcine, après 20h19min d’effort, en 11ème position avec mon équipe de t-shirts blancs au complet !QUELLE EQUIPE ! Je prends le temps de me dévêtir cette fois-ci, de bien m’alimenter (tortilla, viande séchée, gel, etc..) et Maya tente, autant que possible, de me masser le genou mais le mal est fait et il va falloir serrer les dents. Je m’asperge d’eau au moment où Rory arrive au ravito, elle ne restera qu’une ou deux minutes et repartira même une centaine de mètres devant moi. Derniers encouragements de ma belle avant l’arrivée, je ne cache pas que cette dernière bosse sera un calvaire tant pour moi que pour mon genou mais je reste confiant et mon team le sent. Après le dessert, le plateau de fromages est servi et attention à l’indigestion après tous les plats consommés.

Le plateau de fromage

Rory ne m’attends pas, son coach me le répète avec un humour très américain d’ailleurs : « she won’t wait for you man ! » le constat après 5km de faux plat montant est éloquent, Rory s’est envolée, je ne l’aperçois pas mais je revois, pour ma plus grande joie, ma team de folie qui me prépare une Ola d’enfer !Que ça fait du bien, je ne peux pas les décevoir, je ne dois pas lâcher maintenant…Au pied de cette dernière ascension vers la tête aux vents, des supporters espagnols m’encouragent comme des fous, ils me portent par leurs encouragements : « VAMOS VAMOS A por ella, dalo todo, VAMOS…Eres un fenómeno » WAOUH quelle ambiance, quelle passion !Je me lance dans cette dernière montée qui est très mais très très longue, voire interminable. Dès les premiers contreforts je croise Pierrick et Maëlane qui me donne une autre énorme bouffée d’énergie, de vrais passionnés, quel bonheur d’être encore « en vie » dans cette dernière montée. Je trouve mon rythme, un rythme très soutenu, les jambes vont bien à nouveau, la tête va bien, le genou va mieux en montée. Je décide de tenter un coup de poker et de tout donner dans la montée pour reprendre d’éventuels morts sur le chemin…Après dix minutes d’ascension, je fonds sur Rory qui ne peut pas suivre, elle n’essayera même pas, gérant confortablement sa montée et son matelas d’avance. Mon rythme est très bon, ces sensations se poursuivront jusqu’au sommet…quelle montée !ca faisait trois cols que je n’avais pas eu ces sensations, Formidable ! Je retrouve une espèce de deuxième, troisième ou quatrième fraîcheur après plus de 21h30 de course… Par contre, malheureusement, mon coup de poker qui semblait payant dans la montée ne trouvera pas de continuité. En effet, dès que j’arrive au sommet et qu’il faut relancer sur la crête, mon genou m’en empêche de courir. Je dois, la plupart du temps, marcher ou trottiner en boitant. Tout le bénéfice de ma formidable dernière montée s’envole avant même la partie vers la Flégère et la descente finale. Je négocie tant bien que mal cette portion avant d’entendre pour l’avant dernière fois le bip d’un point de contrôle. Je prends mon premier et dernier verre de coca, comme pour fêter la fin…plus rien ne peut m’arriver, enfin c’est ce que je pense à ce moment !!! Le début de la descente est raide puis devient roulante mais mon genou est tout proche de dire STOP, cette douleur latérale est insupportable… je m’engage dans la partie plus technique dans la forêt et BOOM, mon genou se bloque, je dois m’asseoir…AYAYAY que faire ? A ce moment je me dis qu’il me reste 7km et que ces kilomètres me sembleront une éternité. Un passant, ostéopathe, m’indique qu’il s’agit probablement de la tête du péroné…dans ma tête je pense plutôt au syndrome de l’essuie-glace en phase aigue mais quoi qu’il en soit ça fait terriblement mal. Il tente de me soulager en débloquant le genou mais rien n’y fait ! Soudainement, Nuno Silva apparaît depuis derrière et ce qui devait arriver arriva, mes compagnons de route laissés sur le bord du chemin précédemment reviennent…Il ne s’arrête pas et fonce en contre bas, j’ai juste le temps de lui demander si d’autres reviennent, il me dit que oui « allez go, derrière c’est tout près ». Je me remets à trotter en boitant, je laisse traîner la jambe gauche mais j’essaie de m’accrocher, il descend très bien et je me rends compte qu’à allure élevée en descente, la douleur va un peu mieux… Soudainement c’est la chute, deuxième coup de théâtre ! je reçois une nouvelle décharge au niveau du genou qui me paralyse la jambe en position tendue ce qui me fait trébucher contre une pierre et je me retrouve sur le ventre en tapant les genoux !Nuno qui était 10m devant me relève, me demande si ça va et s’en va, je me remets à trotter dès que possible, je perds 50m puis 100m sur lui. Je décide de tenter une deuxième fois le tout pour le tout et je me lance à cœur perdu dans la descente, je vois que je reviens sur lui, mètre par mètre, avant de recoller totalement. Nous descendons très vite et personne ne dirait que nous venons de courir plus de 160km. Ma montre m’a lâché depuis un moment mais son compteur serait aux alentours des 17km/h sur certaines portions. Les gens nous encouragent et nous félicitent mais l’intensité est telle que nous sommes encore totalement dans notre bulle. La dernière partie est pentue sur un gros chemin de graviers, je recherche le relâchement et je me laisse totalement aller. Je passe Nuno tout en continuant mon effort. Lorsque je me retourne 300m plus loin, il n’a pas pu suivre et il est déjà à 100m. A ce moment, je me retourne et lui propose de l’attendre, il me dit d’y aller car derrière ça revient…Je continue sur mon allure, tête baissée à 17 km/h, je relance sur le plat avant l’entrée dans chamonix, je donne tout avec le sourire aux lèvres car cette fois-ci plus rien ne peut m’arriver… Peu à peu, la délivrance, l’entrée dans les ruelles de Chamonix avec des centaines, des milliers de personnes sur les côtés applaudissant, hurlant, encourageant…une entrée inoubliable, incroyable ! Les personnes âgées, les enfants, toutes les personnes tendent leurs mains dans la ruelle avant l’arrivée. Que de frissons, c’est extraordinaire !Je me retourne une dernière fois et je sais que je vais pouvoir profiter de l’arrivée, de mon arrivée, de notre arrivée avec toutes ces personnes venues nous accueillir comme il se doit. Je contourne la dernière place et je me retrouve face à l’arche d’arrivée… WAOUUUUUUHHHHHH quelle émotion, je saute de joie avec les bras en signe de victoire face à l’arche d’arrivée et cette fameuse église, 23h11min après l’avoir quittée, un mélange de satisfaction, de fierté, de sentiment du devoir accompli mêlé à une forte, une irrésistible envie de partage. J’entends une ambiance générale ahurissante, un brouah généralisé mais je n’entends plus les détails, je suis dans un monde parallèle, un état second qui me porte dans les nuages. A l’entrée de la dernière ligne droite, j’embrasse Adan sur ma gauche, puis je m’avance pour saluer des personnes sur un podium avant de voir l’émotion de mes proches, incarnée par les larmes de Katia que j’embrasse à 5 mètres de la ligne et enfin…le salut du guerrier qui est allé au bout de lui même, au bout de son aventure, au bout de la mission qu’il s’était promise parfois avec beaucoup de plaisir, parfois avec beaucoup de sacrifice mais toujours avec un énorme respect envers cette course qui peut sacrer les meilleurs et les plus forts mais également sanctionner la moindre défaillance, éliminer les moins chanceux ou même parfois les plus impertinents. Les clés sont au fond de nous-même, encore faut-il les libérer et savoir les utiliser. Je marque mon arrivée sur la ligne par une révérence face à l’arche d’arrivée, un peu ma façon de montrer mon respect pour cette aventure. J’aperçois ma moitié, Maya, une des clés de ma réussite, toute émue à côté de mes parents également émus…j’ai des frissons et les mots me manquent, les larmes se mélangent avec la sueur, quelle émotion…merci Maya ! Nuno arrive quelques secondes après, nous tombons dans les bras l’un de l’autre, le partage. Bertrand et Carlos avec qui nous avons également énormément couru nous rejoignent pour nous féliciter, le partage des coureurs d’Ultra. Cette discipline est totalement particulière par les émotions qu’elle permet de dégager de chacun d’entres nous. Une course peut représenter une vie et son lot de surprises, de souffrances, de joies et d’émotions. Une dernière Ola et un dîner avec ma dream Team de folie pour marquer le coup et les remercier de l’engagement, du soutien mais surtout du partage de leur amitié qui m’a poussé à tous moments. Le bilan est extraordinaire, si l’on m’avait dit en début d’année que je finirais l’UTMB, j’aurais répondu « j’espère bien », il y a 4 mois, j’aurais dit « j’espère » mais il y a 6 semaines, j’aurais répondu qu’être au départ serait déjà une victoire en soi et je n’aurais jamais dû être au départ compte tenu de ma fracture de fatigue…j’ai tenté, j’ai joué et cette fois ça m’a réussi ! Mais si on m’avait dit que je ferais un temps de 23h11min à l’UTMB, je ne l’aurais jamais cru même si je nourrissais l’ambition secrète de faire le tour un jour, une autre année en moins de 24h. Les choses sont différentes maintenant et cette 11ème place m’ouvre de nouvelles perspectives qui ne vont pas changer mon train de vie quotidien ni mon entraînement mais cette course est un bonus pour la confiance et me montre que je suis capable de réaliser des performances de niveau international sans même avoir une préparation idéale. Le futur dépendra de ma capacité à gérer les blessures mais je me réjouis de planifier de nouvelles grandes aventures tout en gardant à l’esprit ce respect qui doit caractériser le coureur d’ultra face à l’ampleur de la tâche, ce respect ne doit pas tétaniser mais permettre de se remettre en question à chaque moment et de trouver de nouvelles ressources non seulement physique mais surtout psychique en son for intérieur. Il s’agit d’une grande introspection qui permet de focaliser les énergies, de se recentrer sur soi-même, ses propres émotions, ses propres sensations. Le coureur d’ultra se bat avec son corps, son esprit et va puiser son énergie au plus profond de lui-même mais également dans le partage avec ses proches, ses amis et ses compagnons de route.. Pour Maya, Chris, Patrick, Antoine, Katia, Pablo, Adan, Florent, Alex, Jo, Suzanne, Pierrick, Maélane, mes parents et tous ceux qui m’ont soutenu par téléphone, sur le website ou via facebook, vous êtes fantastiques ! MERCI du fond du cœur.

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DIego Pazos

Tombé dans la marmite du Trail et de l'Ultra Trail en 2012. Je parcours les crêtes et les sommets à la recherche d'aventure, de découvertes et d'émotions.

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